"Belarra“ : l'herbe qui a tous les pouvoirs (Elgar N° 607 Mai/Juin 2021)

En euskara, le mot "herbe" se dit "belar", ou "belarra" (avec l'article).

Logiquement elle entre dans énormément de mots composés désignant une grande variété de plantes, inoffensives ou toxiques. On a déjà vu que l'hellébore était appelée en basque "otsobelar", (l'herbe des loups).

La plante appelée en euskara "belarbeltz", (littéralement "herbe noire") est une solanacée toxique, la morelle noire, de la même famille que les pommes de terre et les aubergines dont les baies noires peuvent se consommer une fois qu'elles sont arrivées à maturité.

Tous les enfants qui se sont promenés dans les champs, ont déjà ramené des boules de bardane accrochées à leurs chaussettes. En basque, la bardane se dit "pegatinbelar" (littéralement : "l'herbe qui colle").

L'armoise et l'absinthe (longtemps interdite car accusée de rendre fou sous sa forme alcoolisée), entre autres nombreuses propriétés curatives ou médicinales, sont deux plantes cousines qui sont reconnues comme des vermifuges très efficaces. Logiquement, elles sont appelées en basque d'Iparralde, "xixaribelar", c'est-à-dire littéralement "l'herbe aux vers" (de "zizari", le ver).

Plus poétique, le cigüe, extrêmement toxique, qu'il ne faut pas confondre avec l'ortie (qui est comestible et perd son pouvoir urticant, une fois sèche, hachée ou cuite) se dit en basque "otzarribedar". "Bedar" est ici une déformation de "belar" et "otzarri" est dérivé de "otz" ou "hotz" (froid) et "harri", la pierre. La ciguë est donc littéralement "l'herbe des pierres froides". Sa très mauvaise réputation, quand elle était déjà surnommée "l'herbe des décombres", remonte à la plus haute Antiquité et était le poison officiel de l'Athènes antique. C'est en buvant une décoction que Socrate, condamné, a trouvé la mort.

Avec ces herbes au pouvoir funeste, il était normal qu'au Pays Basque, on revienne à la sorcellerie. Les sorciers ou sorcières, généralement appelés "sorgin", était d'ailleurs aussi désignés sous le nom de "belagile" (de "belar", et "gile", qui fait). Les herboristes, "ceux ou celles qui faisaient les herbes", étaient donc vite assimilés à des adeptes de la magie noire, vu les conséquences néfastes qu'un mauvais dosage, volontaire ou non, pouvaient avoir...

 

Jean-Baptiste Heguy

 

Nota : il y a de nombreuses photos sur le revue Elgar